Plongée avec Jean-Marie Songy au coeur du 24e festival d'Aurillac qui s'ouvre aujourd'hui. L'occasion, pour le directeur d'Éclat, de dresser un tour d'horizon du théâtre de rue en France, et de son actualité vibrante à Aurillac.Formé au centre dramatique national de Reims, Jean-Marie Songy est un artiste qui s'illustre dans la rue. Comédien-performeur à l'origine, il a suivi l'enseignement de Philippe Adrien avant de cofonder, en 1981, la compagnie Turbulence, un collectif d'artistes multidisciplinaires basé à Châlons-en-Champagne. Aujourd' hui directeur artistique, il est à la tête de plusieurs festivals qui font la part belle aux arts de la rue : le festival international d'Aurillac ou Furies à Châlons-en-Champagne, manifestation de théâtre de rue et de cirque. En tant que conseiller artistique et scénographe, c'est toujours sur le pavé de la cité que son art se manifeste. Lors de la Coupe du monde 1998, il se charge de programmer des groupes de musique et de théâtre de rue autour des stades. En 2007, il codirige avec Jérôme Delormas la sixième édition de 'Nuit blanche' à Paris. Fervent défenseur des arts urbains, Jean-Marie Songy se démène depuis des décennies à faire reconnaître cette pratique par les institutions et les politiques et obtenir plus de soutiens logistiques.Interview : Julien BACHELLERIE et Matthieu PERRINAUD pour La Montagne. À l'orée du quart de siècle anniversaire, le festival d'Aurillac n'a pas dévié d'un iota de ses principes fondateurs : proposer un vaste tableau du spectacle de rue dans sa pluralité, sa vitalité et par-delà toutes frontières. Dans la lignée de l'édition 2008, qui a élégamment fait la part belle à l'Europe, la manifestation se veut polyglotte, bigarrée de langages hors scène et assurément échevelée.
« Nous souhaitions maintenir un plateau européen, mais aussi laisser une place à un autre continent afin de montrer les facettes multiples de la création de rue », indique Jean-Marie Songy, directeur de l'association Éclat. Cette année, le public pourra du coup constater une présence plus marquée de compagnies hispaniques (Xarxa Theatre, Kamchatka, Senza Tempo). « Un pays qui, davantage que la France, a réussi à maintenir une vraie tradition des fêtes votives, très populaires ». Une culture dont se réclame bien évidemment, lui aussi, le théâtre de rue, installé au coeur de la cité pour emmener les gens dans leur immense carnaval païen, « une foire, dans le sens noble du terme ».
Le festival recentré au coeur de la ville« Nous avons également souhaité recentrer la manifestation au coeur de la ville. Un espace singulier, au plus près des gens qui permet de rompre avec la classique position frontale scène\public. Le spectacle de rue, affranchi de la configuration scénique "classique", joue avec la position physique du spectateur. Le fondement du théâtre de rue travaille à partir de cette base d'un trouble du regard ».
Les compagnies ont également nourri cette spécificité en empruntant divers chemins, que l'accent soit davantage porté sur l'écriture, sur le geste artistique ou encore en empruntant à d'autres domaines des arts. « Ce qui fait le sel des compagnies, c'est que chacune a un parcours. Certaines passent du gros spectacle à la représentation très intimiste. D'autres font le choix de scènes fixes après avoir travaillé beaucoup de déambulatoires ».
Et loin de confiner à la niche culturelle, au sous-domaine pour connaisseurs dans la marge, le théâtre de rue a su s'enrichir au fil des ans de domaines artistiques voisin. « J'aurais aimé, par exemple, faire venir la grande chorégraphe allemande Pina Bausch », confie le directeur artistique, qui ne décèle pas de différences de degrés entre certains grands noms de la rue, du théâtre ou encore de la danse.
Flash-back sur la génèse du festival Et petite mise au point nécessaire au passage. Ceux qui déplorent l'institutionnalisation du festival au fil des ans ont pris le chemin de l'histoire à contresens. « La création du festival est totalement artificielle ! À l'époque, elle a été déterminée par le Centre national des arts de la rue, qui cherchait une vitrine européenne ».
Mais depuis, la mayonnaise a pris. Au-delà des espérances. Et pour Jean-Marie Songy, l'arbre des arts de rue a enfoncé les racines de sa légitimité très profond dans le sol aurillacois. Assez loin pour que personne ne puisse désormais en discuter le bien-fondé. « Le festival a gagné un territoire ; il est très difficile d'imaginer que le théâtre de rue quitte Aurillac et le Cantal. D'autant plus qu'avec le lieu de création du Parapluie et les Préalables, les artistes ont à disposition un triple outil de travail. C'est une véritable terre des possibles pour les jeunes compagnies ».
Avec une identité propre, qui permet à Aurillac de sortir son âme du jeu de la concurrence. Notamment celle avec Châlon-sur-Saône, l'autre grand rendez-vous hexagonal des arts de rue. « C'est sain qu'il existe une concurrence entre les événements, cela permet à chacun de développer une véritable énergie. Mais cela réside plus du côté de l'orientation et de la direction artistique. À Châlon par exemple, il existe une véritable sélection des compagnies off. Ils en choisissent quelque 150, et les autres ne sont pas les bienvenues. À Aurillac, en revanche, le petit quelque chose en plus, c'est que la ville est ouverte aux artistes ».
Un terreau d'expression unique en son genre, pour l'intégrité duquel Éclat se bat, contre vents et pressions. « C'est une vraie question : comment travailler avec les artistes les plus subversifs, et en même temps avec les représentants de l'État ? En même temps, nous sommes plus sous l'emprise des assureurs et des avocats que des décisions politiques ».